Bric-à-brac lectures, décembre 2023

En ce mois de décembre à manger de la bûche. Beaucoup de bûche. Bien trop de bûche. J’ai lu:

Une tout autre manière de mettre en scène une maison hantée. Toi aussi tu connais ce genre de personne impeccable, parfaite, toujours tirée à quatre épingles, qui a le sens de la répartie, l’intelligence, la beauté, l’humour, l’argent, bref, ce genre de personne insupportable que, une fois morte, les gens sont en passe de canoniser? Et bien c’est à ce genre de personne que se frotte  la narratrice, jeune mariée modeste, timide, élevée pour répondre « oui madame » et faire passer les caprices des autres avant les siens (mais en a-t-elle seulement, des caprices?), tellement insignifiante que son nom n’est jamais prononcé dans le texte. Car le nom de Rebecca, la première femme morte en mer de M. de Winter, riche gentleman, se lit et se devine partout. Dans le mobilier jamais changé, dans les fleurs qui ornent la demeure, dans l’imperméable qui pend à la patère, dans les yeux des serviteurs et en particulier ceux de Mrs Danvers qui lui vouait un culte. Bien que disparue, Rebecca reste la référence en toutes choses dans cette vie en vase clos qui se joue entre les murs de Manderley. Et la narratrice ne se sent pas de taille. On vit son syndrome de l’imposteur aussi puissamment qu’elle-même, dans une atmosphère de non-dits pesante et de jugements tus. Il ne se passe rien, rien que les doutes d’une jeune femme qui n’ose pas s’affirmer, et pourtant c’est captivant, jusqu’à la révélation qui redonne de l’élan au récit (je n’en dis pas plus).

Bienvenue à Jurassic Park! C’est en effet le fameux film de Spielberg qui a traumatisé… non, marqué… non, inspiré, on dit « inspiré » la alors toute jeune Marion Montaigne. Des années plus tard, ce film lui fournira la matière de sa nouvelle BD illustrée tout en humour et vulgarisation scientifique qui retrace la grande et la petite histoire des dinosaures: des premières découvertes de fossiles dont on ne savait que dire ni que faire à l’établissement de la paléontologie en tant que science telle qu on la connait de nos jours, le tout assaisonné de bagarres d’érudits, de misogynie ambiante, de mauvaise foi, d’imagination farfelue et de religion collant aux baskets des scientifiques. C’est bien amené, frais, très drôle comme toujours, et teinté d’autobiographie. Non pas que je sous-entende que la dame fait partie des dinosaures maintenant qu’elle a passé la quarantaine, mais ce livre est certainement celui dans lequel elle se livre le plus, ce qui ma foi est fort touchant. Mini-bémol: un peu moins de sel que dans son ouvrage sur Thomas Pesquet ou ses Tu mourras moins bête (au moins, on ne fera pas de rétention d’eau).

J’avais envie d’exotisme, alors j’ai jeté mon dévolu sur ce faux Japon féodal. C’est sûr que ça m’a changé de mon quotidien. Dans cette saga, les clans s’entretuent, se lient, se vengent. Le grand vilain de l’histoire, c’est Iida, chef du clan des Tohan, un tyran devant lequel certains s’écrasent et d’autres se rebellent. Iida, on le rencontre très tôt dans le roman, en train de se gausser du massacre qu’il vient de perpétrer dans un village du clan des Invisibles et auquel Tomasu échappe de justesse. Tomasu, justement, c’est le véritable héros de l’histoire. Ne t’habitue pas à son nom, très vite il va devenir Takeo, fils adoptif de Shigeru du clan des Otori. Au fil des pages Takeo découvre qu’il est le contraire de ce qu’il pensait être (je reste mystérieuse exprès, pour te donner envie de lire) et que son rôle dans ces luttes sanglantes n’est pas des moindres. Viennent s’ajouter quelques romances (de celles qui servent l’intrigue, pas juste là pour faire fondre les petits cœurs guimauves de lecteurs), des femmes qui n’ont pas froid aux yeux, des hommes cruels, un peu de fantastique mais pas trop et beaucoup de thé. C’est agréable de tomber sur une lecture qui narre essentiellement des conspirations et des batailles mais dont le style est léché, souvent contemplatif (si avec ça tu n’as pas l’impression d’être transporté au Japon…). Il y avait matière à ce que ce soit un coup de cœur, pourtant pour moi ce fut un coup d’épée dans l’eau. Peut-être en raison du déséquilibre introspection/action. Ou simplement le rythme qui ne me convenait pas. Je vais méditer là-dessus devant un cerisier en fleurs.

Rou…Rou… N’aie pas peur d’être pris pour un pigeon en lisant Le pigeon: Suskind ne se moque pas de toi. En voilà, un sujet innovant: utiliser un pigeon comme excuse pour chambouler le quotidien d’un personnage plutôt quelconque. Car Jonathan Noël est vraiment quelconque: un gars bien sous tous rapports avec son travail, son petit logement, ses petits sous à la banque, ses petites habitudes de célibataire. Le genre qu’on ne remarque pas, qui ne fait pas de vague, couleur translucide. Mais ce matin-là, il y a un pigeon. Sur le palier devant sa porte. En plus il a fait caca. Et cette anomalie dans un quotidien bien réglé va être le point de départ d’un effet boule de neige savoureux à lire. J’ai aimé le point de vue omniscient du narrateur qui nous ouvre une fenêtre dans la tête de Jonathan, ses pensées, sa logique, la montée de sa dinguerie. Introspectif juste ce qu’il faut. Pas au niveau du fameux Le parfum du même auteur, mais vraiment bon.

Revoilà Claude Lantier, aperçu tout jeunot dans Le ventre de Paris en quête d’inspiration pour ses toiles. Claude, l’artiste qui ne vit que pour renouveler son art, est avide d’enterrer les anciens dans une grande révolution artistique, mais entre carrière et création, ses amis artistes hésitent, puis tranchent, pas toujours comme l’aimerait Claude. En digne rejeton de Gervaise, tu te doutes que le détraquement psychique, accompagné ici d’un détraquement physique (une lésion des yeux, le comble pour un peintre), n’est pas loin. Claude est dans l’excès d’amour: pas de l’amour charnel, pas de l’amour filial, non non, l’amour de son art, pour lequel il sacrifie tout, y compris sa femme et son fils. Bref, il laisse échapper la vie à force de vouloir la jeter sur la toile. Dans mon projet de lire toute la saga des Rougon-Maquart, L’œuvre comptait parmi les tomes qui m’attiraient le moins. Parce que ça parle de peinture, et la peinture, je n’y connais rien. Mais j’aurais dû faire confiance à Zola qui sait toujours amener les choses avec finesse (et cette plume, non mais cette plume! Zola ne décrit jamais, il dépeint toujours, et c’est grandiose). J’ajoute que les notes de bas de page de mon édition ont été plus que bienvenues (sauf celles qui m’ont divulgâché la fin dès le premier chapitre. Pas merci). Naïve et inculte que j’étais, j’ai découvert que ce tome est bien plus qu’une simple tranche de vie tournant au malheur, mais un pan de la vie de Zola lui-même, le naturaliste convaincu, l’ami de Cézanne et des autres grandes figures du réalisme et de l’impressionnisme (Pierre Sandoz est son parfait double littéraire, même si Claude lui a également emprunté certains traits). Avoue que ça aurait été dommage de faire l’impasse!

Joseph, c’est l’ado par excellence: il ne se trouve pas bien fini (franchement, c’est la honte ce menton!), il doit faire face au bourrin de service au club de foot, les profs quelle plaie, surtout qu’en plus il faut écrire à sa correspondante d’anglais à qui on n’a rien à dire, et puis ce copain qui part toujours dans de chouettes endroits pendant les vacances alors que lui atterrit systématiquement chez mémé, à la campagne. Mais là où la plupart des ados préfèrent jouer à la console, Joseph ce qu’il aime, c’est écrire. De tout et de rien: un scenario de film d’espionnage, une réécriture de Cyrano parce que la vraie fin est trop triste, une lettre à Eugénie Grandet parce qu’il commence à bien la connaître à force de l’étudier en classe, des lettres à mémé, à son copain, à la plus belle fille de la classe, à la correspondante anglaise la plus moche du monde. Le ton est tellement juste, si tu as été ado dans les années 90 tu te reconnaitras forcément. Si tu décides de lire ce livre, préviens ton entourage que ce qui ressemblera à des convulsions est en réalité une crise de fou rire.

(et une bien belle année!)

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